La surefficience cognitive n'est pas juste une vue de l'esprit de parents désirant devenir exceptionnels à travers leurs enfants, ou un moyen de maquiller outrageusement les difficultés scolaires et/ou comportementales de leurs chers bambins. Ce terme recouvre avant tout une réalité neuro développementale, très clairement décrite dans les extraits que vous trouverez plus loin de cet article de Michel Habib, neurologue à l'hôpital de la Timone à Marseille. Cela entraîne aussi, pour les enfants tout comme pour les adultes qu'elles ou ils deviennent une sorte de rapport au monde, une manière d'aborder la vie, une forme de communication, toutes ces choses ténues, souvent difficiles à cerner ou identifier, qui me les rendent particulièrement attachants et passionnants.
Vous trouverez l'intégralité de cet article dans le magasine "Cerveau et Psycho" n°66, daté du 6 novembre 2014, sous un titre qui ne me plait pas : "le cerveau des génies".
"En 2013, les médias diffusèrent divers reportages sur Maximilian, un jeune Suisse âgé de dix ans qui venait de passer son baccalauréat de mathématiques et se préparait à entrer à l'Université (...)
Mais combien d'enfants, mêmes plongés dans pareil environnement, deviendraient Maximilian ou Mozart ? Sans doute moins de un sur 10 000 ! Le génie est l'exemple typique d'une faculté issue de la rencontre entre un milieu, d'une part, et un « potentiel », un « talent » ou encore des « dispositions », d'autre part(...) Aujourd'hui, les neurosciences s'intéressent naturellement à ce qui se passe dans le cerveau de ces personnes dotées d'un don particulier. Fonctionnement différent, agencement particulier des neurones ou des aires cérébrales ? Les découvertes récentes nous permettent aujourd'hui de percer quelques secrets des génies.
Un cortex plus plastique
(...) une équipe de neurobiologistes du Centre américain de la santé du Maryland, conduite par le neuroscientifique Jay Giedd, a examiné, au moyen des techniques d'imagerie cérébrale, le cerveau de 307 hommes et femmes à plusieurs moments de leur vie, de l'enfance jusqu'à l'âge adulte. Cette équipe s'est particulièrement intéressée à l'épaisseur du cortex, la partie la plus externe du cerveau où sont traitées les informations sensorielles et motrices, et où ces sensations sont combinées pour donner lieu à des raisonnements et des intentions. En mesurant l'épaisseur du cortex au fil des ans, il a vu se dégager trois tendances.
Les personnes d'intelligence normale (au quotient intellectuel compris entre 83 et 108) voient leur cortex s'amincir progressivement entre 7 et 19 ans (voir figure 3). Les personnes d'intelligence élevée (entre 109 et 120 points de QI) ont également un cortex qui s'amincit progressivement au fil des ans, mais en partant d'une épaisseur supérieure au début. Enfin, les personnes d'intelligence supérieure (121 à 149, en grande partie des surdoués) présentent un profil nettement différent. À l'âge de sept ans, leur cortex cérébral est beaucoup plus mince que celui des autres enfants. Puis, de 7 à 11 ans, il s'épaissit à un rythme élevé, pour ensuite s'amincir comme les autres, mais plus rapidement.
Que signifie donc ce profil si particulier observé chez les surdoués : un cortex qui s'épaissit, puis s'amincit rapidement, alors qu'il ne fait que s'amincir doucement chez les autres enfants ? (...)
Le fait que le cortex continue de s'épaissir chez l'enfant surdoué jusqu'à l'âge de 11 ans suggérerait que ce processus pourrait être décalé : les neurones continueraient de développer leurs connexions et leurs arborisations à l'âge où se mettent en place les premiers apprentissages, tels que la lecture ou les mathématiques, créant des voies de traitement de l'information qui mobilisent du matériel neuronal de façon dynamique. Ensuite, la phase d'élagage et d'élimination des synapses serait plus rapide, permettant l'acquisition de nouvelles compétences avec une efficacité accrue.
Les mécanismes à l'œuvre dans le cerveau en phase de construction sont multiples et étroitement imbriqués. Le schéma proposé ici n'est donc qu'une façon d'imaginer ce qui se produit chez les surdoués. Une certitude demeure : le cortex des surdoués semble plus changeant et plastique que celui des personnes d'intelligence normale.
La raison de cette différence biologique est difficile à identifier(...)
Un câblage hors normes
Mais il n'y a pas que l'épaisseur du cortex qui change chez les surdoués. Les voies de communication entre différentes parties du cerveau jouent aussi un rôle déterminant. Ces connexions sont formées de faisceaux de fibres ressemblant à des câbles optiques et que les récents clichés obtenus par imagerie par tenseur de diffusion ont permis de visualiser.
Il y a quelques mois, des chercheurs madrilènes ont observé ces faisceaux de fibres (aussi nommés substance blanche, car les produits chimiques utilisés initialement pour leur conservation en laboratoire les faisaient apparaître blancs) chez des adolescents âgés de 12 à 14 ans d'intelligence moyenne et chez des surdoués en mathématiques. (...) Ainsi, chez ces surdoués en mathématiques, la communication entre les deux hémisphères, mais aussi entre les parties antérieures et postérieures du cerveau, serait plus concertée et efficace.
(...) Plusieurs études ont confirmé l'existence d'un lien statistique entre l'intelligence mesurée et la taille des faisceaux de substance blanche, principalement du faisceau arqué, et surtout de sa partie moyenne nommée territoire de Geschwind, plaque tournante des informations sensorielles, dont les neurones se projettent sur les aires impliquées dans la motricité.
Parmi ces études, citons celle du neuroscientifique japonais Hikaru Takeushi de l'Université de Sendai. (...) (Par ailleurs) En 2008, Jessica Tsang et son équipe de l'Université Bar-Ilan en Israël ont constaté que les compétences mathématiques de jeunes élèves âgés de 10 à 15 ans étaient reliées à la densité de fibres dans le faisceau arqué qui, rappelons-le, relie les aires frontales et pariétales du cerveau.
La puissance des réseaux
Quel est le rôle de ces câbles de substance blanche ? Pourquoi semblent-ils associés à des facultés particulières chez les enfants ? La substance blanche permet de véhiculer l'information sur de grandes distances au sein du cerveau, de sorte que des territoires distants peuvent travailler ensemble pour résoudre des problèmes. Le faisceau arqué, par exemple – dont la densité semble associée au score de quotient intellectuel – relie les régions corticales postérieures aux parties inférieures du lobe frontal. Le corps calleux, quant à lui, permet aux deux hémisphères de communiquer. Et le faisceau longitudinal, l'ensemble de fibres connectant les parties frontales et pariétales du cerveau, est particulièrement développé chez les surdoués en mathématiques.
Insistons sur ce dernier point. La communication renforcée entre les parties frontales et pariétales du cerveau semble constituer une composante clé du très haut potentiel intellectuel. Des spécialistes de l'étude des jeunes à haut potentiel, les psychologues américains Rex Jung et Richard Haier, ont recensé 37 études sur ce sujet et constaté qu'elles pointent vers l'implication de réseaux de neurones particulièrement intégrés entre les parties frontales et pariétales du cerveau chez ces sujets. Ils ont alors proposé une théorie dite de l'intégration fronto-pariétale pour rendre compte de certaines formes d'intelligence.
(...) Quand le surdoué se repose
(...) Mais que font les surdoués lorsqu'on ne leur demande pas de résoudre des équations ardues ? Leur cerveau fonctionne, là aussi, différemment. C'est le constat fait par certaines études où l'IRM fonctionnelle est utilisée non plus pour observer les zones cérébrales activées lors d'une tâche mentale, mais pour repérer celles qui ont tendance à s'activer simultanément quand la personne est au repos. Les régions qui s'activent de façon conjointe sont considérées comme connectées les unes aux autres, au moins sur un plan fonctionnel – et probablement aussi par des fibres de substance blanche.
Cette approche dite de « connectivité au repos » a permis de montrer que les sujets à haut potentiel présentent une plus forte connectivité dans le lobe frontal et entre les lobes frontaux et pariétaux, y compris lorsque ces sujets ne font rien de particulier. Le fait que cette différence existe même au repos prouve que les enfants précoces diffèrent des autres par une caractéristique de leur cerveau, déjà perceptible en l'absence de toute tâche cognitive.
Mais alors, d'où vient cette connectivité si particulière au cerveau des surdoués ? « La vertu ne s'apprend pas plus que le génie », disait Schopenhauer, une autre façon de dire que la question du caractère inné de ces très hauts potentiels reste intacte. Et elle sera très difficile à trancher, car les recherches en génétique, tout en faisant apparaître une composante héréditaire pour l'intelligence, ne laissent guère entrevoir un nombre limité de gènes qui sous-tendraient ces particularités. Génétique et neurosciences sont encore loin de nous avoir livré le code du génie !